Ecoles d’Hirson-Centre


A.- Territoire occupé par les armées allemandes


I.- Généralités


a).- A quelle date les Allemands ont-ils pris possession de votre village ?

Le 1er septembre 1914.


b).- La prise de possession s’est-elle effectuée à la suite d’escarmouches, à la suite de combats sanglants, ou sans coup férir ?

Aucune résistance ne fut opposée.


c).- Quelle a été l’attitude de l’autorité militaire à l’égard de la population pendant les premiers jours ?

Dans la suite de l’occupation ?

Il n’y eut aucune autorité militaire proprement dite organisée dès les premiers jours. Mais les soldats se montrèrent très arrogants, exigeant qu’on leur serve à boire et à manger, fouillant les maisons occupées, pillant et salissant celles qui étaient abandonnées, avec un luxe de brutalité et de malpropreté inouï. Les marchandises des magasins furent partagées entre eux ou jetées dans les rues. La « Kommandantur », installée par la suite établit une discipline sévère, toujours vexatoire, sous un couvert d’humanité.


d).- Pouvez-vous rapporter quelques propos authentiques tenus par des officiers ou des soldats, et qui soient caractéristiques de leur état d’esprit ou de l’opinion publique en Allemagne à cette époque ?

Les soldats allemands entrèrent dans Hirson, étonnés de trouver la ville si petite et si peu défendue. On leur avait dit que la ville comptait 50 000 âmes et 5 forts. Voyant un café dont l’enseigne portait « au café de Paris » ils poussèrent des hurlements de triomphe, et parurent atterré quand on leur dit que 200 kilomètres les séparaient encore de la capitale. Un major allemand parlait comme d’un fait certain, de l’entrée de Guillaume à Paris ; « Il  voulait, disait-il, remettre un roi sur le trône de France, pour arrêter l’anarchie grandissante. »


e).- Pouvez-vous citer quelques ordres ou prescriptions émanant de l’autorité ennemie où se manifestait plus spécialement son système de « guerre aux civils » ?

La « guerre aux civils » consista surtout à affamer la population : interdiction de sortir de la ville pour chercher de quoi se nourrir, défense de vendre le lait, le beurre et le fromage aux civils ; défense de manger les lapins (même ceux vous appartenait : un lapin mort devait être porté à l’autorité allemande). Une femme, Madame Maufroy, fut tuée par un soldat en allant en Belgique pour chercher des provisions ; un vieillard, Monsieur Lejeune fut tué parce qu’il dépassait la limite de circulation permise ; un homme, Monsieur Mahoudeaux fut tué parce qu’il empêchait des soldats de lui voler des pommes de terre. Un caporal, gardien du fort, où étaient enfermés les coupables d’un délit envers l’autorité allemande, les faisait fouetter par un soldat ; pendant ce temps, un phonographe couvrait les cris des malheureux. Ils imposèrent à des jeunes filles des travaux très durs : cordage du bois, nettoyage de machines, de canons, triage de charbon, lavage de linge des soldats atteints de maladies vénériennes, ils en obligèrent d’autres à aller aux champs sous des pluies torrentielles. Une dizaine de jeunes gens de 16 à 20 ans sont morts à la suite de maladies contractées pendant des séjours au fort, dans des casemates humides, sans nourriture et sans air, épuisés par un travail au-dessus de leur force.


f).- Si possible, prière de joindre quelque spécimens d’affiches apposées par les soins ou sur l’ordre de l’ennemi, ou quelque document authentique digne d’intérêt, (ces documents seront exposés et renvoyés par la suite à leurs possesseurs, s’ils les réclament).

A notre plus grand regret nous ne pourrons fournir aucun document intéressant.


II.- Des rapports de l’Autorité ennemie avec la population scolaire


a).- Les établissements d’instruction (écoles, etc.) ont-ils été ouverts pendant toute la durée de l’occupation ? Ou momentanément fermés, ou ont-ils été fermés pendant toute la guerre ?

Les établissements scolaires n’ont servi à l’école que quatre mois. Ils furent occupés ensuite par des soldats en cantonnement ou transformés en hôpitaux. La commission municipale installa d’autres locaux: salles d’auberge, magasins d’usine où l’on ouvrit des classes ; les Allemands s’en emparèrent encore et on dut faire la classe dans des maisons inhabitées et inhabitables, abandonnées par les soldats eux-mêmes. Des petites filles jouait dans une rue à proximité de leur classe, où passait un commandant ; celui-ci fit la barrer la rue. Il les força à la nettoyer.


b).- Quelles ont été les prescriptions particulières édictées par les Allemands à l’égard des

établissements d’instruction ? (Prière de joindre, si possible, des documents à l’appui)

Ils envoyèrent des ordres pour les heures de rentrée et de sortie.


c).- Le commandant de place s’est-il immiscé dans les services d’enseignement ?

d).- des officiers délégués ou inspecteurs allemands ont-ils émis la prétention de contrôler l’enseignement ? Ont-ils pénétré dans l’école ? Ont-ils interrogé les élèves ? Pouvez-vous citer, à cette occasion, des réponses d’élèves méritant d’être mentionnées ?

Le commandant et aucun officier ne sont venus dans les classes d’Hirson. Une fois seulement ils enjoignirent à une institutrice l’ordre d’empêcher ses enfants de chanter la Marseillaise dans les rues.


e).- Les élèves des établissements (écoles, etc.) ont-ils été contraints à quelques travaux manuels ?

Quelle a été l’attitude des élèves dans ces circonstances ? Particularité, réponses, réflexions dignes de remarque.

La « Kommandantur » demanda une fois des gamins pour rabattre des lapins dans une grande plaine où les officiers devaient les chasser. Les enfants firent leur possible pour faire sauver le gibier. L’un d’eux fut cravaché par un officier. Employés à la culture des pommes de terre, ils mettaient la plante dans leurs poches au lieu de la déposer en terre ; à l’arrachage ils cachaient des tubercules sous les feuilles et retournaient les chercher la nuit tombante. Nous reçûmes plus tard l’ordre de chercher des plantes médicinales, puis des fruits. Il fût impossible d’obtenir un rendement, les enfants se refusant nettement « à nourrir et à guérir les boches ». Malgré des réclamations nombreuses et même des menaces la quantité de fruits fournie fut insignifiante (5 livres pour une école de 160 élèves et pour tout un été). Dans l’espoir d’encourager les élèves, les Allemands avaient promis de de payer les plantes (5 pfennig pour 1kg de camomille, 15 pfennig pour 1kg de tussilage qu’ils fumaient) chose qu’ils ne firent jamais. Des enfants de 10 ans furent réquisitionnés dans les écoles pour faucher des orties dont les boches faisaient des purées et des fibres ; l’un d’eux Robert Germain se coupa un doigt avec sa faucille. Un enfant de 14 ans, obligé de travailler dans une scierie eut trois doigts coupés par une scie circulaire.

f).- Quelle a été, en général, l’attitude des soldats à l’égard des enfants ? L’attitude des enfants à l’égard des troupes ?

Les soldats étaient familiers avec les enfants, pas méchants en général, les attirant plutôt et causant avec eux, s’amusant de leur esprit gouailleur, léger, accentué par la lourdeur allemande. Les policiers et les gendarmes étaient très durs ; près de l’usine où nous faisions la classe un gendarme prenait plaisir à lancer son chien, un policier allemand très féroce, sur les enfants, à chaque sortie de classes. Un enfant, Paulou, pris à voler fut battu, et mordu par ce chien au point d’être obligé à garder le lit deux jours. Un commandant d’une localité voisine obligeait les enfants à s’agenouiller devant lui. Une petite fille Suzanne Guyot, âgée de 9 ans ayant refusé, il la cravacha. Malgré les coups et les mauvais traitements les Allemands n’arrivèrent jamais à en imposer à nos enfants. Ils ne les craignaient nullement et passèrent tout leur temps à leur jouer des tours, à leur désobéir ouvertement pour se moquer d’eux, à leur voler des provisions, car ces pauvres petits mouraient de faim. Nous en avons vu un qui fendait un sac sur une voiture en marche, et qui tendait son tablier, courant pour recevoir la farine qui tombait ; d’autres s‘accrochaient aux voitures de manutention pour prendre des pains ; ils échappaient toujours aux poursuites avec force moqueries. Du haut d’une grande cheminée d’usine ils jetaient des pierres à tous les policiers qui passaient ; ils avaient tendu un fil de fer au travers d’une rue, à la nuit tombante, pour faire tomber les soldats ; du haut d’une maison ils jetaient des sacs en papier pleins de sable, qui venaient se crever sur la pointe des premiers casques ; ils suivaient les soldats en singeant le pas de parade et poursuivaient de longs beuglements les « bochettes », infirmières ou dactylographes. Ils se battaient avec les gamins allemands venus dans le pays pour des petits travaux. Malgré tout, ils restaient Français. Le 14 juillet ils faisaient des petits drapeaux français avec des crayons de couleur ; nous leur lisions ce jour-là des lectures patriotiques et nous avions beaucoup de mal à les empêcher de chanter la Marseillaise qu’ils fredonnaient quand même. Ils firent des chansons « Nous irons tous à Berlin, tuer Guillaume et les prussiens », où ils tournent les boches en dérision. Quand des soldats quittaient un cantonnement, ils allaient ramasser toutes les cartouches abandonnées et les jetaient dans la rivière : « C’est toujours autant, disaient-ils, que les Français ne recevront pas ». Un petit garçon Bourdaud’hui, fut pris par les policiers, en train de brûler tout un butin boche : vêtements, tabac, cartouchières, il fût enfermé au fort pour un mois. Les gamins de notre classe mirent un des leurs en quarantaine parce qu’il avait porté à la gare la valise d’un officier allemand. Ils furent admirables dans leur dévouement pour les malheureux prisonniers français, si peu nourris qu’on en a vu ramasser des épluchures dans des tas d’ordures et les manger crues. Ils leurs donnaient la toute petite tartine de leur goûter, alors qu’ils n’avaient mangé à midi qu’un morceau de chou navet ou des pissenlits cuits à l’eau (très peu mangeaient du pain à leur repas de midi). Ils faisaient des collectes de vêtements, de légumes dans leur quartier, puis escaladaient des murs, franchissaient des grilles pour arriver à donner tout cela aux malheureux prisonniers, au risque de recevoir des coups des sentinelles boches. Ils arrivèrent à se procurer tous des « calots » bleu horizon, que les prisonniers leur donnaient en échange d’une casquette et les mirent tous pour venir en classe jusqu’à ce que la « Kommandantur » interdit, par voie d’annonce, de porter « tout vêtement militaire ». Un jour, que nous rangions les élèves dans la rue et qu’ils n’étaient pas très dociles, un policier, en passant, me tendit la cravache qu’ils avaient toujours en main. Un gamin lui dit, moitié en français, moitié en allemand, pour se faire comprendre : « En France, on n’a pas besoin de cela pour être sage ! » et ils se rangèrent tous, d’eux-mêmes, d’une façon irréprochable. Les soldats allemands ne saluaient jamais les convois funèbres. Traversant un jour la rue avec nos élèves et rencontrant un enterrement de soldat allemand nous leur commandâmes de se découvrir. Ils firent la moue et hésitèrent quand l’un d’eux, P. Rocher, dit : « Et puis nous, on n’est pas des sauvages !» Il retira son béret et tous l’imitèrent.


g).- Le séjour des troupes allemandes a-t-il influé en quelque mesure sur le parler local ? Quelques mots allemands, plus ou moins déformés, y ont-ils pénétré, et paraissent-ils devoir persister ?

(Donner une liste de ces mots, et leur sens.)

Pendant le séjour des troupes, les enfants et la population furent obligés de parler un langage mitigé de mots boches plus ou moins déformés et de français. Les enfants savaient surtout dire aux soldats : « Deutschland kapout » Mais aucun mot allemand ne persiste maintenant.





Source : BDIC La Guerre dans le ressort de l’Académie de Lille. 1914-1920

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