CLERMONT-LES-FERMES

Un village unique

Une commune-type

Heureux coin de terre



Le Courrier de l’Aisne a publié sur l’originale commune qu’est Clermont-les-Fermes l’intéressant article qu’on va lire. Nous aurions voulu qu’il fût signé pour en complimenter l’auteur.

Pour renseigner complètement nos lecteurs ces précisions ; Clermont-les-Fermes est du canton de Rozoy, de l’arrondissement de Laon, à 16 kilomètres de Rozoy, à 27 kilomètres de Laon, gare et poste de Bucy-les-Pierrepont. Les cultivateurs actuels de cette sorte de domaine sont MM. Camus, Brizon, Drapier-Genteur, Lhotte et L. Coulbeau. Le directeur de la sucrerie est M. Junien.



Clermont-les-Fermes avec sa topographie unique au monde, sa construction spéciale, ses coutumes, ses traditions et toutes les particularités qui, vous intéressent à chaque pas, est certainement dans son genre le plus curieux petit village de France.

Sur un vaste plateau sinué de légers vallons à 150 mètres environ au-dessus des plaines de Laon, Clermont déploie les ailes multiples de ses toits d’ardoises.

Sa population laborieuse et exclusivement agricole de 153 habitants aux mœurs patriarcales vit heureuse du travail de la terre ; son sol est du reste fertile et généreux, puisque la couche arable est formée du limon des plateaux.

La vie agricole

Le pays comprend en tout et pour tout sept fermes d’une contenance totale de 1 200 hectares, exploitées par cinq agriculteurs seulement.

Tous les bâtiments des fermes et leurs dépendances sont symétriquement groupés autour d’un vaste quadrilatère de dix hectares qu’ils entourent complètement et de toutes parts. Ils ferment ainsi au milieu d’eux une immense cour carrée parfaitement close dont une seule porte l’accès. Jusqu’à la révolution, la porte était gardée par un concierge, dont la logette existe encore et aucune personne étrangère ne pouvait pénétrer sans son autorisation.

Un septième de la cour appartient en propriété à chaque ferme, mais l’union et la concorde qui semblent la devise de cette heureuse population et confondent les intérêts en font une cour commune.

Au centre un immense abreuvoir fait ondoyer l’émeraude de ses eaux.

Les cultures et l’élevage

Les cinq fermiers emblavent leurs 1 200 hectares en cultures ultra intensives comme suit :

590 hectares de betteraves à sucre

500 hectares de blé

200 hectares d’avoine et fourrages divers.

Au moment des grands travaux agricoles la population est doublée ; plus de 300 personnes unissent leurs efforts dans cette ruche laborieuse ; mais Clermont est tout intime, il ne veut abriter que les enfants nés sous ses toits et une grande partie de cette population flottante toujours la même cependant et composée presque exclusivement de Camberlots doit chercher un foyer dans les hameaux voisins distants de plusieurs kilomètres.

120 chevaux, 100 bœufs, 100 vaches, génisses et bouvillons, 1 500 moutons constituent le cheptel vivant.

C’est peu d’animaux pour un aussi grand territoire, mais Clermont a une gare pour lui seul sur la ligne de Laon à Liart et des trains entiers de fumier, de gadoues, d’engrais de toutes natures apportent sans cesse au sol une abondante nourriture, en même temps que des labours profonds de huit et dix bœufs en permettent l’assimilation et le font rester fertile et généreux malgré l’énorme production qu’on lui impose sans relâche.

La sucrerie

Pour travailler leurs betteraves, les cultivateurs ont en commun une sucrerie. Fondée il y a un demi-siècle, cette usine admirablement entretenue et fournie des perfectionnements les plus modernes, écrase économiquement 400 000 kg par jour.

En plus de la production des fermes, 15 000 tonnes de betteraves environ sont achetées aux cultivateurs riverains. L’usine, située près de la gare, y est raccordée par un embranchement particulier.

Sous le contrôle des agriculteurs réunis en conseil un ingénieur distingué administre la sucrerie au mieux des intérêts communs.

L’eau

Clermont par suite de son altitude n’avait pas d’eau, l’intelligence des hommes a remédié à cet oubli de la nature.

Depuis 1906 l’eau jaillit abondante et pure des entrailles de la terre. Un puissant aéromoteur la pulse à 45 mètres et l’élève dans deux réservoirs en ciment armé de 1 000 hectolitres dont l’imposante rotondité repose sur de hauts et robustes pylônes. De là, elle se répand généreusement dans les maisons, les écuries, les étables, les bergeries et coule, cristalline et fraîche, à de coquettes bornes-fontaines.

Le coût de ces travaux énormes pour un aussi petit pays fut de 35 000 fr., mais les Clarusiens sont vaillants et généreux ; aucun sacrifice ne les arrête quand il s’agit de l’utilité générale.

C’est aussi dans l’entretien de leurs routes et de leurs chemins ruraux, si précieux pour les lourds charrois qu’exige la culture intensive que l’on admire leur perpétuel souci d’amélioration. Toutes les voies de communication petites ou grandes sont en parfait état et empierrées avec le granit bleu de Belgique.



La vie communale

Clermont-les-Fermes, véritable petite République indépendante et fière, s’administre lui-même car il est commune et son excellent maire M. Leroy, ancien agriculteur, à qui revient une large part dans toutes ces améliorations, est aimé de tous.

Nous avons dit que Clermont n’avait qu’une seule porte, la discorde est trop encombrante personne pour pouvoir y entrer.

L’église, la mairie et l’école sous le même toit

Elle n’a rien à envier à ses grandes sœurs, cette bonne petite cité, et elle est complète de tous points ; elle a sa mairie, son école, son cimetière, son église, tout cela approprié à sa taille et marqué du sceau d’une unique originalité. En effet, l’église, la mairie, l’école, le logement du garde-champêtre et de la pompe à incendie, tout cela est fondu d’un seul bloc et abrité sous le même toit.

Le cimetière des riches et le cimetière des pauvres

Le cimetière y est attenant et le tout est la propriété indivise des sept fermes. Chacune a son banc à l’église et la place gratuite pour les siens au champ de l’éternel repos.

A la suite de la construction de la sucrerie, la population ayant augmenté, le cimetière, propriété des sept fermes, devint trop petit et il fallut acheter un terrain presque contigu ; depuis il se trouve que Clermont a deux cimetières tout à fait distincts et dénommés ; l’un, le plus ancien, le cimetière des riches et l’autre le cimetière des pauvres. C’est en vain que depuis bien longtemps la municipalité cherche à les réunir et à faire disparaître ces deux dénominations qui semblent paradoxales, puisque le pauvre et le riche sont égaux à la mort.

Près de l’église verdoie un jeu de paume qu’ombragent des arbres séculaires sous lesquels se font les accordailles et s’échangent de gentils serments.

Ce village où tout est paix et travail était fortifié ; une partie du mur d’enceinte existe encore et se dissimule, honteux de son inutilité, derrière une ravissante promenade sur laquelle des ormes, des marronniers et des tilleuls étendent un bouclier impénétrable aux ardentes flèches de Phébus.

Une tradition fort ancienne et pieusement observée veut que chaque année et chacun à son tour, le jour de la Saint-Blaise patron du pays, un des fermiers convie à de fraternelles agapes ses quatre voisins et leur famille et qu’ils festoient gaiement jusqu’au couvre-feu.

Clermont à travers les siècles

L’antiquité

Clermont, autrefois « Clarus Mons » est de vieille origine ; sa fondation remonte au troisième siècle. Des fouilles pratiquées en 1845 sur un monticule près des fermes amenèrent la découverte d’une villa romaine, de nombreux fragments de poteries, des boucles de métal, de meules de granit, d hachettes en silex et d’une foule d’autres objets ; notamment de monnaies en or de Gratien, de Maxime, de Constantin, d’Antonin et une pièce de Titus percée pour servir de médaillon. Plus tard un berger mit à jour un vase admirablement conservé et contenant 1 200 pièce d’argent à l’effigie de Salonina impératrice, femme de Gallien qui se rendit célèbre par ses talents et ses vertus et fut mise à mort avec son mari sous les murs de Milan en 268.

Le moyen-âge

Ces documents sont précieusement conservés. Pendant de longs siècles les Clarusiens ne laissent à l’histoire aucune page intéressante ; courbés sur leurs charrues de bois, ils passent impassibles à travers les rivalités de leurs seigneurs, les guerres civiles et religieuses. Jusqu’en 1168 le pays conserve son nom latin de « Clarus Mons », puis en quelques décades il change trois fois de dénomination. Il devient d’abord Clermont en Picardie, puis les Fermes de Clermont et finalement Clermont-les-Fermes.

L’époque moderne

Pendant deux ou trois siècles, « Clarus Mons » dut appartenir aux moines de l’abbaye de Saint-Denis qui étaient à Chaourse ; il passa ensuite à l’évêque de Laon qui le posséda jusqu’en 1789. A cette époque i était à peu près ce qu’il est aujourd’hui ; il se composait déjà de sept fermes comprenant 1 450 arpents de terres labourables et 45 arpents de bois. Compris dans les bois ce domaine fut morcelé et vend u en 7 lots ; chacun d’eux représentait une des fermes actuelles et ses dépendances.

L’époque contemporaine

Les ancêtres des fermiers actuels qui les cultivaient en devinrent les propriétaires ; l’un d’eux, M. Debrotonne fut élu député un peu plus tard. Après la tourmente révolutionnaire et avec la tranquillité, la prospérité était revenue ; les invasions de 1814-1815 mettent le pays à deux doigts de la ruine ; de terribles réquisitions vident les greniers, les étables et les bas de laine. Ce fut la dernière épreuve. Depuis cette époque, Cérès, armée de sa faucille d’or, veille sur Clermont et en fait le pays le plus prospère et le plus heureux de son immense domaine.





Le Journal de Saint-Quentin – 5 mars 1908 – Bibliothèque municipale de Saint-Quentin