HIRSON

Catastrophe aérienne au "Champ Roland"

Par Jacky Billard.

  Le 5 juillet 1931, en marge de la glorieuse épopée de Paul Codos, pilote-aviateur, recordman du monde de raids et records, résidant hirsonnais, un drame s'est déroulé au "Champ Roland".  

En septembre 1928, Paul Codos est l'invité d'honneur de la ville d'Hirson sur une manifestation des sports mécaniques organisée par l'Union commerciale au "Champ Roland", il accorde sa participation à un meeting aérien et au spectacle de deux trapézistes Roland Toutain et Maryse Hilsz, bien connue dans le milieu aéronautique pour ses records de pilote en longs parcours. Codos en tant que pilote est chargé d'emmener à ras de terre nos deux équilibristes pour cueillir des fanions. "C'est du cirque" observe Paul Codos non sans humour.   En cette année 1931 ce sera aussi "le cirque" mais bien loin d'être un jeu.   Sous un ciel radieux la braderie annuelle placée sous l'égide du Syndicat d'initiative fait son plein de badauds et de curieux ; c'est un grand jour, celui des réjouissances en famille et entre amis. Cette opportunité n'échappe pas à un dénommé Nicolas Cendre, garagiste et dirigeant d'un club d'aviation à ses heures perdues. Par entente préalable avec l'exploitant du terrain au "Champ Roland", Nicolas Cendre s'arroge le droit à l'organisation d'un meeting aérien et de baptêmes de l'air. C'est bon pour son image !  

Autorisations  Les élus de la ville d'Hirson, les instances aéronautiques, l'administration préfectorale, les forces de l'ordre ignorent tout de cette initiative personnelle. Nicolas Cendre et son compagnon Laporte posent en cette belle journée du 5 juillet 1931 deux avions dont l'un est une Berline Blériot - Spad 56 qui peut transporter jusqu'à huit passagers. Rentable, n'est-ce-pas ?   Stupeur des autorités hirsonnaises. M. Moreau, commissaire de police et M. Dupont, maire adjoint se rendent sur les lieux. Evidemment, Nicolas Cendre est dans l'incapacité à présenter les pièces indispensables. Il a transgressé de fait les règles à poser ses avions sur un terrain privé, certes mais territoire communal et qui plus est, il a négligé de mettre en place les éléments nécessaires à la sécurité des spectateurs. Un oubli ?   MM. Moreau et Dupont ordonnent de surseoir à cette manifestation non programmée et de dégager le terrain sans délais. Ce n'est pas du goût des impertinents pilotes qui contestent vertement cet ordre. Loin de s'exécuter, Nicolas Cendre et son camarade Laporte décident de faire une virée en centre ville. Les deux appareils resteront sans surveillance toute la journée. Principe de précaution ?  

Vent de panique  De retour vers 17 h 30 les deux pilotes décident - enfin de prendre les commandes de leur avion respectif. Ils s'installent tranquillement dans la carlingue et ils font vrombir les moteurs sous les yeux ébahis des nombreux spectateurs, "lorsque le pilote [Nicolas Cendre] a voulu décoller, il a d'abord, en le faisant rouler, conduit son appareil à l'extrémité du terrain. Là, face à la foule, il a entrepris le décollage, mettant les gaz, il ne s'élève qu'à 1,50 m voire 2 m et voyant qu'il allait atteindre la foule, il parvint à obliquer vers la droite fauchant au passage des spectateurs [trois dont un enfant]. S'élevant à quelques mètres, brusquement piqua et poursuit sa course vers le buisson à l'ombre duquel se trouvaient plusieurs spectateurs. L'avion se retourne, roues en l'air. A l'époque du drame j'avais 12 ans". Propos recueillis auprès de M. André Delabre, ancien maire de Wimy.   C'est la panique parmi les spectateurs ; tous voudraient échapper à ce qu'ils pressentent. L'irréparable s'accomplit, l'avion qui avait déjà tué trois personnes poursuit sa funeste hécatombe.  

L'heure du bilan  Les secours rendus sur place seront les "spectateurs" d'un triste constat, ils relèvent les tués : Mme Moreau-Lacaille, 26 ans et son fils Roger, 3 ans demeurant rue de Vervins à Hirson ; Mme Marthe Mouflart, 32 ans, domiciliée rue Magnier à Hirson, le plus jeune de ses enfants qu'elle tient dans ses bras échappe à la mort ; Mme Mouflart-Gouvion, 77 ans ; Mlle Heller, 45 ans. A leurs côtés M. Lebleu a le réflexe de se jeter sur le bas-côté avec son bébé ; ils sont épargnés, le landau tout à côté est broyé...   Parmi les spectateurs (certains ne se sont pas déclarés) les blessés : M. Edouard Mouflart, forgeron demeurant rue de Magnier à Hirson, fracture du péroné à une jambe et une entorse (son épouse, tuée dans l'accident) ; Mlle Mouflart, rue de la Capelle [Avenue du maréchal Joffre], multiples fractures à l'épaule droite ; Mme Pauline Billard-Larue, 48 ans, demeurant rue de la Prise d'eau (ma grand-mère), blessures à la tête et contusions multiples. Son état l'emporta quelles années plus tard. Blessures analogues sur Mme Leloir, domiciliée rue de Saint-Michel à Hirson ; Serge Vinda, 7 ans, demeurant à Hirson est grièvement blessé à la tête ; Charles Roesch, 14 ans, de Landouzy-la-Ville, contusions multiples ; M. Marcel Lemaire de Saint-Michel - Sougland, fractures multiples au bras droit ; M. Marceau Berteaux d'Hirson, contusions multiples ; Mlle Marguerite Cartigny, 22 ans, contusions au bras droit. Déplorable litanie !

  Justice rendue  MM. Valier et Lansart respectivement procureur de la République et juge d'Instruction placent Nicolas Cendre et son camarade Laporte en détention. La justice a rendu son verdict contre ces deux responsables qui, par profit personnel, ont ôté la vie, porté des blessures corporelles et la mort dans l'âme des familles rescapées. Les blessés seront admis à l'hôpital Brisset, rue de la Capelle à l'époque, [rue du 8 mai 1945] pour recevoir les soins dus à leur état. Quant aux cinq victimes leur destination finale sera la morgue, un dernier refuge dont ils se seraient bien passé.  

Obsèques solennelles  La municipalité d'Hirson conduite par M. Emile Villemant décide à l'unanimité l'organisation d'obsèques solennelles. Le jeudi 9 juillet, je cite "une foule compacte suit avec recueillement le convoi funéraire des victimes de l'accident d'avion".  

Epilogue  Une tragédie, un drame qui 75 ans après est encore présent à l'esprit des hirsonnais ayant pour certains le triste souvenir d'avoir laissé sur le terrain du "Champ Roland" un membre de leur famille.  

Sources : La Gazette de la Thiérache - dimanche 12 juillet 1931. M. André Delabre de Wimy. Mes parents : Billard Marius et Gabrielle née Ravaux, Camille Billard, mon grand-père.