Beuvardes
Beuvardes, à son origine, n’était composé que de Beuves ou Boves isolées, établies ça et là sur les vastes pâtis dont se composait le territoire. Elever la race bovine était la seule ressource des habitants. Le sol est dur, et au Moyen-Âge on possédait peu d’instruments capables d’entamer un tel sol. Aussi tous nos terrains un peu frais étaient-ils laissés en pâturages ; on les nommait pastis ou bastis.
Dans les guerres du IXème siècle, ces Beuves furent brûlées, ardées, comme on disait alors, et de là le nom de Beuve ardée, Beuvardes.
Au XIIème siècle, un lieu
principal de Beuvardes se nommait Grisolles[1] ;
il touchait au bois du comte Robert de Villeneuve et à ceux du seigneur de
Pagan, le seigneur de Brécy, possédait plusieurs biens cultivés et non cultivés sur Beuvardes ; il les donna au monastère de Coincy.
Artaud Flottes, prieur de Coincy , et dont la famille compte un amiral et divers hommes illustres, donna Artois, qui était une vicomté, au monastère de Coincy, vers 1305. Prieur de Coincy, principal conseiller de Louis de Flandres et enfin prieur de St Médard de Soissons, Artaud Flottes est le premier vicomte d’Artois que nous connaissons.
Le monastère de Coincy jouissait d’un beau revenu sur Beuvardes, quand éclata la guerre des Armagnacs. Nous allons donner ici des extraits textuels du cartulaire de Coincy, touchant les dévastations faites par les Anglais, les Armagnacs et surtout les Bourguignons, de 1423 à 1436.
« Item,
les villages de Beuvardes et Beuvardelle qui sont des appartenances dudit
monastère de Coincy, et où les religieux ont toute juridiction et justice, leur
estoient de grand revenu et ne leur valent comme rien à présent (1464), à cause
de la guerre et dépopulation causée par icelle.
« Item,
ont aussi les religieux de Coincy un lieu au-dessus de Beuvardes nommé Grisolles,
où souloit avoir une maison, grange, estable et une chapelle fondée de monsieur
sainct Leu, avec plusieurs terres et prés appartenant à icelui lieu. Les quels
édifices sont démolys et cheus, et les quelles terres et près sont
emboschés.
« Item,
souloit avoir une maison nommée Artois enclose de fossés, donnée jadis par
Artaud Flottes au prieuré de Coincy, laquelle est maintenant de nulle
valeur… »
La guerre avait tout détruit. Le fief de Marlemont
n’avait pas été épargné ; rien n’était plus cultivé depuis quarante ans.
Aussi le cartulaire répète-t-il à chaque instant que tous les terrains sont emboschés.
Le bois avait levé partout.
Un plan[2]
curieux, dessiné, enluminé, sur un parchemin de plus d’un mètre carré, exécuté
en 1543, contenant tout le pays qui relevait du monastère de Coincy, nous
montre, à cette époque, le sol du vaste territoire de Beuvardes avec les
quelques métairies isolées qui se relèvent peu à peu. L’église, avec son
clocher de pierres qui n’existe plus aujourd’hui, paraît entourée de quelques
chétives habitations ; Beuvardelle consiste en trois ou quatre
chaumières ; Grisolles, sa chapelle, du moins, n’est pas relevée. Un
moulin à vent montre sa tour et ses ailes au-dessus de Beuvardes. Artois est à
peu près ce qu’il est aujourd’hui, et, chose à constater, deux chênes sont
plantés devant la porte tels qu’on les voit encore ; l’un d’eux est devenu
extraordinaire[3].
La Logette n’est, en 1543, qu’une simple
métairie ; elle est entourée de cinq étangs, le grand en dessus et quatre
petits en dessous.
Le Four-au-Verre est un hameau au-dessus de Beuvardes, ainsi nommé à cause
d’une fabrique de verre qui n’existe plus depuis longtemps.
Familles
anciennes de Beuvardes
Les registres de baptême ne commencent qu’en 1607[4] ;
mais les parchemins de la famille de Gaullier et le cartulaire de Coincy nous
ont donné quelques noms de familles au-dessus de cette époque. Ainsi :
Regnaut Pille était laboureur à Beuvardes en 1587. Nicolas Leclerc était maire
de Beuvardes et messire Gillot curé, en 1607. Les familles Desjardins,
Beaumont, Mimin, Doyen. En 1608, nous trouvons comme principales familles Jehan
Aubert, Rufin Rolland, Claude Le Vistre, Lambour, Barthélémy, Descarriers,
Robillard, Pierre Philippon. Il nous
serait impossible de faire connaître tous les membres des petites familles
seigneuriales qui ont habité les divers fiefs de Beuvardes ; nous allons
parler de ceux qui méritent quelque intérêt :
GRISOLLES et COUVRON. Ces fiefs, appartenant aux
Gaullier, étaient habités, en 1543, par
En 1698,
La famille de Gaullier, dont les registres de
Beuvardes contiennent plus de quatre-vingt actes, a encore des représentants
aujourd’hui à Beuvardes qui ont conservé les anciens titres de leur famille[6].
« Le
jour des saints Gervais et Protais, qui estoit le mercredi 19 juin 1658, le
tonner est tombé sur le château de la Logette où il tua M. Vely, homme
d’honneur de madame la vicomtesse de Melun, dans la chambre de la dicte dame,
en la compagnie de M. le curé de Buvarde, de Mme de Melun, de M. de Brancourt,
dit le vicomte d’Artois, et la demoiselle suivante de la dicte dame et en ma
présence ; et est à remarquer que tous les susnommés ont été renversés sur
le plancher, hormis le curé de Buvarde et moy indigne curé de Brécy. Et je
crois que si le foudre eusse put prendre le chasteau sur un point qu’il l’eusse
enlevé jusqu’aux mues ou au fond jusqu’aux antipodes. »
Haute et puissante dame madame Brouilly de la
Bécherelle avait fondé, le 6 juin 1641, une chapelle en son château de
Le 11 juin 1720, René Lelieur, seigneur de Crézaney,
épousa à Beuvardes dame Marguerite de Broyes et devint seigneur de
ARTOIS. Après les désastres causés par les Anglais et
les Bourguignons, Artois demeura sans être cultivé. En 1464, le prieur Leroy le
fit reconstruire à ses frais et le donna pour ainsi dire de nouveau au
monastère de Coincy. Artois dépendait du petit couvent de Coincy qui
était alors distingué du prieuré. Artois avait le titre de vicomté. Plusieurs
familles l’habitèrent tour à tour ; nous citerons les principales :
En
En 1659, Hélie des Maillets, vicomte d’Artois et Marie de la Bruyère,
sa femme ; ils eurent plusieurs enfants. Leur fils, Hélie épousa Madeleine
de Gaullier, vers 1678, Du Hald. Quelques membres de cette famille, originaires
de Trugny, furent vicomtes d’Artois.
Le dernier vicomte d’Artois fut Didier Robert
Descourtils, lieutenant des maréchaux de France, qui comparut à l’assemblée de
la noblesse à Château-Thierry et émigra.
MARLEMONT se nommait Mollemont en 1253 ;
les religieux de Coincy y possédaient en cette année 120 arpents de bois. Ce
fief était tenu, en 1603, par les barons de Givray. La famille de Textor, qui
existe encore de nos jours, habitait Marlemont. Jean de Textor avait épousé Anne de
Gaullier ; il mourut le 22 février 1692. Charles de Textor, fils des
précédents, né à Marlemont le 10 février 1678. François de Textor, seigneur de
Marlemont, épousa Suzanne de Nouvion.
Charles-François de Textor, fils des précédents, né à
Marlemont le 30 septembre 1715, eut une sœur, née en 1719. Cette famille
disparut ensuite de Beuvardes.
Beuvardes fut encore habité par divers petits
seigneurs : en 1656, Hugues de Morienne, seigneur du Logis, et Anne
de liège, sa femme ; ils eurent plusieurs enfants :
Vers 1615, Charles de la Bruyère, escuyer, et
Françoise de Gaullier, sa femme. Louis de la Bruyère, seigneur d’Arocourt, et
Marie de Nouvion, habitaient Beuvardes en 1656 ; ils eurent plusieurs
enfants : Baptiste-François de la Bruyère, Louis de la Bruyère, Charles,
Alexandre, Charlotte, Marie, Louise, Elisabeth. Louis de la Bruyère n’édifia
pas les gens de Beuvardes par sa conduite, il eut plusieurs bâtards ; il
mourut à Beuvardes, le 16 février 1691, âgé de 65 ans. Sa famille ne se
continua pas à Beuvardes.
Michel de Liège, en 1608. Philibert de Liège, en 1614.
En 1673, Philippe de Liège, seigneur de la Place,
avait épousé Renée du Vesier ; ils eurent plusieurs enfants nés à
Beuvardes : Françoise, en 1673, et Françoise en 1675, Saturnine,
Charlotte, Marie, née en 1680. Philippe de Liège perdit sa femme en 1713. Cette
famille disparut ensuite de Beuvardes.
On trouve aussi dans les registres de Beuvardes
quelques actes sur les familles : de Bongard, en 1613. Noble homme
Philippe de Fiennes, vers 1607. Madeleine de Mussan, inhumée dans l’église en
présence de ses frères, en janvier 1686. Le Danois, seigneur de Ronchères et
Jofreville, épousa Charlotte de Gaullier, en juin 1683[8].
Nicolas Clément de Gaullier, chevalier, dernier
seigneur de Couvron, parut à l’assemblée de la noblesse pour l’élection des
Etats-Généraux. Il avait eu deux bâtards qui furent légitimés par son mariage
avec Gemme Dujon le 24 novembre 1789. Nicolas Clément de Gaullier mourut en
1810. Louise-
Beuvardes
depuis 1789
La marche de la révolution y
fut à peu près la même que dans les autres villages. Un nommé Lallemand se fit
surtout remarquer par sa fureur révolutionnaire dans la descente des cloches et
la spoliation de l’église ; on dit qu’il périt misérablement. En 1814,
Beuvardes fut traversé par les troupes ennemies ; mais il n’eut pas de
grands désastres à enregistrer. On dit que pour sauver son pays de l’incendie,
une jeune fille de Beuvardes s’offrit en holocauste au général ennemi qui,
surpris d’un si étrange dévouement, pardonna aux habitants qui, du reste,
étaient innocents.
Il existait alors à
Beuvardes une femme assez jeune encore. Cette femme avait un fils et se nommait Marie-Ambroise de Monu. Réduite
à la dernière misère, elle était obligée de faire des balais de bouleau qu’elle
allait vendre pour soutenir son existence et celle de son enfant ; elle ne
demandait pas, mais elle recevait l’aumône.
L’air de cette femme, sa
démarche, tout annonçait chez elle qu’elle n’était pas née dans cet état de
misère. Le soin qu’elle prenait de son enfant empêchait de le laisser confondre
avec ces petits mendiants dont fourmillait Beuvardes alors. Le 3 mars 1814,
Marie de Monu apprend que Napoléon est à Château-Thierry ; elle y court
avec son fils, elle demande à être présentée à l’Empereur, et pourtant c’est à
peine si elle ose paraître devant lui et lui exposer l’état où elle se
trouve ; mais l’amour maternel lui donne du courage : « Sire,
dit-elle, je suis la baronne de Wolbocq, voici tous nos titres, mais mon
enfant et moi nous n’avons pas de pain ! » L’Empereur, touché de tant
de misère, lui promet de s’occuper d’elle, et dès ce moment, l’enfant fut mis à
la charge de l’Empire.
Trois ans après, la baronne de
Wolbocq[10]
expirait à Beuvardes, âgée de 42 ans, le 29 mars 1817. Mais elle mourut
rassurée sur l’avenir de son fils ; il faisait en ce moment d’excellentes
études sous la protection du gouvernement des Bourbons.
Le jeune mendiant de
Beuvardes devint général de la maison du roi, fut décoré de la Légion d’honneur
et des ordres de Saint-Jean de Jérusalem et de Saxe. Beuvardes ayant renouvelé
ses cloches en 1826, il en fut le parrain. Il fit alors élever sur la tombe de
sa mère un modeste monument de pierre[11]
sur lequel on peut lire encore : « Ci gît dame Marie-Ambroise de
Monu, âgée de 42 ans, décédée le 29 mars 1817. Ses vertus égalèrent son
courage dans l’adversité. » Suivent les titres du fils.
Grâce aux deux belles routes
qui le traversent, Beuvardes a fait un pas vers le bien-être. La position de
ses habitants s’améliore chaque jour. Autrefois, c’était le pays de la pauvreté
par excellence ; le clergé n’y était pas riche, la noblesse allait en
sabots, les laboureurs étaient malheureux, les plâtriers misérables. Les moins
à plaindre étaient peut-être cette foule de mendiants qui, un bâton à la main,
sortaient de Beuvardes chaque vendredi et revenaient le soir, le dos chargé de
pain et les poches de liards ramassés dans les communes plus riches.
L’hiver faisant jadis de
Beuvardes un lieu inabordable pendant quatre mois, les plâtriers ne pouvaient
plus mener de plâtre au dehors à dos d’ânes ; ces pauvres animaux
devenaient inutiles. Aussi, disait-on (ce que l’on peut répéter maintenant sans
crainte de blesser personne), que les plâtriers mangeaient leurs ânes à la fête
qui est la Saint-Martin, pour n’avoir pas la peine de les nourrir pendant
l’hiver : « Camarades, d’où reviens-tu ? – Je reviens de la fête
à Beuvardes – Oh ! alors, tu as
mangé de l’âne ! »
Transcription
par C. Remy
[1] M. Cocheris, dans ses savantes analyses des manuscrits de la Picardie, a fait une erreur à l’article Coincy. Il a pris Grisolles, fief de Beuvardes, pour Grisolles, commune du canton de Neuilly-St-Front. Il cite Cassini et donne une note savante qui prouve que ce n’est pas à Paris qu’il faut être pour étudier l’histoire locale avec quelque certitude. Tout le monde sait que, pour écrire l’histoire d’un pays, il faut être initié à ses traditions, connaître ses archives et surtout sa topographie. Nous ferons à ce sujet observer que la rédaction du dernier cadastre a été une destruction de notre histoire locale. Partout on a généralisé les lieudits, et de là combien de souvenirs historiques vont se perdre dans la mémoire des gens, souvenirs qui n’étaient venus à nous que par les lieudits ? il eût été bien mieux de consacrer une page du cadastre à enregistrer tous les anciens lieudits de chaque village. L’étude de ces désignations, quelquefois bizarres, mais se rapportant toujours à un fait quelconque, est une source précieuse pour l’historien et le philologue.
[2] Bibliothèque impériale, suppl. à dom Grenier, n°291
[3] Ce chêne, le plus gros de la contrée, a sept mètres de pourtour.
[4] Voici le titre : Registre
des baptesmes de lesglise de monsieur sainct
[5] Le Nobiliaire
[6] Le dernier des Gaullier
vit encore, il a quarante ans ; il reçoit un secours du gouvernement qui
lui fut accordé en 1826. la famille de Gaullier, qui fut toujours pauvre, a
servi
[7] Cette maison des Melun est une des plus nombreuses et des plus remarquables de France. La branche du château de la Logette était seigneur de Dillon et de Champigny. Jehan Dillon, le vieux seigneur de Beuvardes et Brumetz, avait servi sept rois de France sans vaciller ni discontinuer. Il avait combattu à huit batailles rangées de 1554 à 1612 ; il était maréchal de camp.
[8] M. de Melleville fait une grande erreur en indiquant les vicomtes de Ronchères comme seigneurs d’un Ronchères du Laonnois.
[9] Nous nous sommes étendu sur les seigneurs de Beuvardes d’autant plus qu’aucun historien n’en parle. M. de Melleville, dans son Dictionnaire historique, n’en nomme pas un seul.
[10] Cette famille, originaire d’Allemagne, avait été naturalisée française en 1573. Plusieurs de ses membres avaient été vicomtes de Limé, près Braisne, jusqu’en 1685. Les armes de cette famille dont de gueules à la fasce d’or. Un de Wolbocq était prieur d’Epieds en 1722.
[11] Ce petit monument, lors du changement du cimetière, fut porté dans l’église par M. le curé Delsart ; il est près de l’autel. Là, du moins, les intempéries des saisons ne le détruiront pas.