Barthélemy de JUR (ou de JOUX)

Évêque de Laon
Partisan des réformes monastiques

De la Thiérache, riche d'une longue histoire on ne connaît, en fait, qu'une originalité : les églises fortifiées bâties au VIème et début du XVIIème siècle. Bien antérieurement à cette période, il est passionnant de souligner l'implantation des abbayes au Moyen-âge du Xème au XIIIème siècle. C'est durant l'époque carolingienne que des moines défricheront les forêts, ouvriront des clairières, cultiveront et construiront les premiers monastères.


CES ABBAYES QUI ONT FAIT LA THIERACHE

Les
bénédictins sont les premiers à s'engager dans cette voie. Ils s'installent en 945 à Saint-Michel dans la partie septentrionale de la Thiérache. Le XIIème siècle marque l'apogée des grandes réformes de la vie monastique marqué par l'éclosion de nombreux Ordres et la multiplication des abbayes. L'élan de christianisme de la réforme grégorienne est promu dans le diocèse par l'évêque de Laon, Barthélemy de Joux. Passionné par cette tâche, il appellera à ses côtés, Bernard, premier abbé de Clairvaux qui rédige la règle cistercienne émanant de la règle bénédictine et, Norbert de Xansen, ex-chapelain de son cousin, l'empereur d'Allemagne, qui passe après une soudaine conversion, à 35 ans, d'une vie dissipée au plus profond dénuement.
Sur le pays axonais, les abbayes se multiplient durant l'épiscopat de Barthélemy de Joux entre 1113 à 1151. Le département de l'Aisne totalise trois établissements sur le Laonnois : Cuissy, Prémontré et Vauclair. Sur le pays de Thiérache, sept abbayes : Clairefontaine, Bohéries, Bucilly, Foigny, Montreuil-en- Thiérache, Thenailles et le monastère des Chartreux au Val-Saint-Pierre sur la commune de Braye-en-Thiérache. Plus au nord, l'abbaye de Fesmy-le-Sart ne compte pas dans le mouvement impulsé par l'évêque de Laon.

On distingue quatre courants de pensée :
Les Bénédictins qui vivent selon la règle rédigée en 535 par Benoît de Nursie. Elle décrit la vie spirituelle et matérielle des moines ; le partage de leur temps entre prières, travaux manuels, réflexion spirituelle ainsi que l'organisation du monastère en faisant preuve d'une grande compréhension de la philosophie humaine. Ces moines portent une tunique noire, un scapulaire noir et une ceinture noire autour de la tunique.
Pour l'ordre des Cisterciens, Bernard de Clairvaux modifie la règle avec des variantes dans le but de créer des conditions favorables à une recherche de Dieu. L'idéal cistercien réclame abnégation, pauvreté, simplicité, retraite et pureté totale. Leur vie se partage entre la prière et le travail. Ces moines portent une tunique blanche de laine nature, non teintée et le scapulaire noir.
Les Prémontrés forment une communauté de chanoines réguliers soumis à la règle de Saint Augustin. Ils ont une double mission, l'apostolat en tant que clerc et une vie austère comme moine. Les Chartreux de l'Ordre fondé par Saint Bruno sont des contemplatifs. Ce sont des ermites avec une part de vie commune ; une spiritualité ou l'on quitte le monde pour acheter la liberté de ne penser qu'à Dieu. Le chartreux fait vœu d'ascèse, de pénitence, de pauvreté, d'obéissance et d'une vie effacée enfouie dans le silence de la solitude pour obtenir la plénitude.

BARTHELEMY de JOUX


Barthélemy de Jur (ou de Joux), évêque de Laon a été l'artisan de cette efflorescence de monastères en Thiérache. Il est le fils aîné de Falcon (ou Foulques) de Grandson, seigneur de Serraz, du Jura et de Lausanne, et de Ade (Adélaïde), fille de Hilduin, seigneur de Tamerupt et de Montdidier et de Adélide de Roucy. Barthélemy est né vers 1080. A la mort de son père, il est confié à son oncle Eble II pour son éducation à Neuchâtel. Adolescent, c'est Mannassés, son cousin, l'archevêque de Reims qui le prend sous sa protection. Barthélemy de Joux devient sous-diacre puis trésorier de l'église de Reims avant d'être nommé à Laon.
En 1112 après l'insurrection de Laon sous l'évêque Gaudry, le roi Louis VI le Gros, fils de Berthe de Hollande et de Philippe 1er qui épouse Adélaïde de Savoie en 1115, nièce du pape Calixte II, refuse aux chanoines de Laon la liberté d'élire leur nouvel évêque. Le roi impose le doyen d'Orléans, Hugues ne reste en charge que sept mois. Il meurt ! Le courroux du roi apaisé, Anselme né à Laon, théologien à Paris, doyen et chancelier de Laon à partir de 1109 environ et archidiacre vers 1115 propose Barthélemy de Joux. Le souverain se range à l'avis du Chapitre. Barthélemy de Joux est élevé à la dignité épiscopale le dimanche après Pâques 1113 par l'évêque de Reims, Verd.

An 1112 - L'AFFAIRE GAUDRY - Révolte communale

L'évêque Gaudry, un normand fourbe et cupide, après avoir signé une charte d'affranchissement de la ville de Laon, revient sur son serment. Il demande au roi d'annuler cette charte. Cette marche arrière est loin d'emporter les suffrages du peuple, en particulier celle des bourgeois, classe sociale émergente qui, depuis l'an mil s'efforçait d'échapper à l'emprise du système seigneurial.
De surenchère en surenchère, en monnaie sonnante et trébuchante, entre la nouvelle classe sociale, le prélat et le roi Louis VI, Gaudry obtient l'abolition de la charte communale. Cette décision du souverain déclenche une insurrection. Le palais épiscopal est saccagé, la cathédrale est en partie incendiée, les défenseurs sont massacrés et l'évêque Gaudry est assassiné le 25 avril 1112. Guibert de Nogent, moine chroniqueur, témoin du meurtre rapporte "Gaudry quoique pécheur, était cependant l'oint du Seigneur est alors tiré par les cheveux hors du tonneau (Gaudry s'y était caché), accablé d'une multitude de coups, il est entraîné en plein jour dans le cul-de-sac du cloître des clercs devant la maison du chapelain Godefroi. L'infortuné implore du ton le plus lamentable la pitié de ces furieux, s'engage à leur jurer que jamais il ne sera plus leur évêque, leur promet de grosses sommes d'argent et s'oblige à quitter le pays ; mais tous, roidissant leur cœur ne lui répondent que par des insultes. Un d'eux, Bernard, surnommé des Bruyères, élevant sa hache à deux tranchants, fait sauter cruellement la cervelle de la tête de cet homme sacré, quoique pécheur."
D'autres coups sont portés par ses bourreaux. Après lui avoir coupé un doigt, l'anneau pastoral est dérobé par l'un d'eux. Le cadavre dépouillé de tout vêtement sera jeté nu, abandonné sous la raillerie des passants. Triste sort qui démontre combien, parfois, la cupidité ne fait pas bon ménage avec la spiritualité !

BARTHELEMY, frondeur

Le successeur désigné pour succéder à Gaudry et à Hugues se retrouve à la tête d'une ville en piteux état. Son premier devoir sera-t-il de participer à la reconstruction de l’église Notre-Dame de Laon avant de s'engager sur la Thiérache
Peu avant son arrivée, des écolâtres, Anselme et son frère Raoul veulent rendre confiance au peuple, effacer les rancœurs, éviter la famine et restaurer la cathédrale. Ils décident avec les Laonnois de faire une "tournée" dans le centre de la France, en Touraine, en Anjou ainsi qu'en Angleterre entre le 23 mars et le 6 septembre 1113 en hissant, à bout de bras, la châsse contenant les reliques de Notre-Dame de Laon attirant les pèlerins qui, en retour, sont les témoins privilégiés des miracles qui s'opèrent.
Chemin faisant les pèlerinages permettent de récolter des "revenus" substantiels pour les travaux de restauration de la cathédrale. Une page d'histoire racontée dans un récit "Les miracles de Notre-Dame de Laon" repris par Gautier de Coincy, moine trouvère, grand prieur claustral de Saint-Médard de Soissons qui les met en vers entre 1218 et 1223.
Quant à la restauration de la cathédrale, l'évêque Barthélemy pour qui les questions architecturales seraient classées au second plan, il aurait fait réparer hâtivement l'église Notre-Dame payant de ses deniers le campanile à la croisée du transept. Sa mission était de sauver les âmes et de panser les plaies morales. Il est toutefois un talentueux "promoteur immobilier" et un passionné de réformes en particulier de la vie monastique. Pour mener à bien "son entreprise", il attire à lui les deux personnages les plus en vue dans ce nouvel élan du christianisme : Norbert et Bernard.

NORBERT DE XANSEN, l'incorruptible

Norbert est né à Xansen, petite ville de Rhénanie,  il est issu de nobles familles apparentées aux souverains d'Allemagne et de Lorraine. Après sa conversion aussi soudaine que tardive à l'âge de 35 ans, il se fait remarquer à Cologne lors de son ordination en 1115 en se dépouillant solennellement de ses habits précieux pour revêtir un simple habit en peau d'agneaux. Le sujet de son prêche lors de sa première messe est, le néant du monde et de ses richesses faisant sentir à ses confrères chanoines l'inconvenance de leur conduite et de leurs fastes. Sa prédication lui attire de solides ennemis.
Norbert de Xansen en octobre 1119 est à Reims où Guy de Bourgogne, élu pape à Cluny le 1er février 1119 sous le nom de Calixte II vient de réunir un concile. Norbert qui avait à réclamer quelques faveurs mais ne parvenant pas à s'approcher du nouveau pape, fait demi-tour. Il rencontre Barthélemy de Joux à Saint-Thierry, proche de Reims. Après avoir fait la connaissance de ce moine et de ses compagnons errant, Barthélemy se charge de présenter Norbert au pontife pour qu'il obtienne le renouvellement de la permission de prêcher concédée par le précédent pape Gélase II. 
Calixte II trop pressé par les affaires assure à Norbert qu'il fera visite à Laon dès la fin du concile et qu'il donnera satisfaction. En attendant sa Sainteté, Norbert rentre à Laon. Calixte II tient sa promesse et renouvelle les accréditations avec l'assentiment de l'évêque Barthélemy qui sollicite Norbert de prendre charge les chanoines réguliers de l'église Saint-Martin de Laon qui vivent sur leurs acquis et que l'évêque de Laon veut réformer. Norbert accepte par obéissance et à la condition expresse que les chanoines se conforment à son mode de vie. C'est un échec ! Norbert veut reprendre sa liberté pour chercher une voie conciliable avec sa vocation apostolique. Le prélat qui entend le garder dans son diocèse offre de l'installer dans une abbaye. Barthélemy lui propose le site de Foigny où il y a tout à faire. Norbert refuse. Barthélemy le conduit en forêt de Saint-Gobain, près de Laon, dans une clairière jadis essartée par les moines de Saint-Vincent de Laon dont Barthélemy s'était porté acquéreur par la signature d'une charte avec l'abbé Adalbéron. L'acte confirmé du sceau de l'église Notre-Dame de Laon signé des deux parties en 1121, Norbert accepte et s'installe. L'abbaye Saint-Jean Baptiste de Prémontré sera bâtie par des maçons dont certains viennent de Cologne. L'abbaye abrite des chanoines, des prêtres vivant en communauté avec parfois la responsabilité d'une paroisse et selon la règle de Saint-Augustin. Ainsi naît l'Ordre des Prémontrés dont celui qui l'a fondé voulait faire une pépinière de missionnaires pour régénérer le clergé et évangéliser le peuple.

BERNARD de CLAIRVAUX, l'intransigeant

Bernard, troisième enfant d'une fratrie de sept dont une sœur, est né en 1090 au château de Fontaine-les- Dijon en Bourgogne, de Testelin le Roux (chevalier) et d’Aleth de Montbard. A 9 ans, il fréquente l'école canoniale de Châtillon-sur- Seine. En 1112, il entre à l'abbaye de Cîteaux fondée en 1098 par Robert de Molesnes et dont Etienne Harding, après avoir été le prieur est élu abbé. Il est le rédacteur de la règle cistercienne qui respecte celle de Saint-Benoît. Trois ans plus tard, Etienne de Harding désigne Bernard pour fonder une abbaye. Un terrain en friches dans la vallée d'absinthe près de Bar-sur-Aube fait l'affaire. Avec une vingtaine de compagnons, Bernard fonde l'abbaye de Clairvaux. Pour l'évêque de Laon, ce moine de renom n'est pas un inconnu ; il est apparenté à la famille de Barthélemy de Joux en lien avec la famille Roucy.
Le
11 juillet 1121, Bernard de Clairvaux et Barthélemy de Joux fondent à Foigny (La Bouteille), la troisième maison de Clairvaux et première implantation en Thiérache au XIIème siècle. Le 11 novembre 1124, l'abbaye est consacrée où Bernard installe douze moines et à la tête de la communauté son ami Raynaud qui, malade en 1131 regagne Clairvaux remplacé par Gossuin.
Bernard édicte sa règle, celle qui libère l'âme par une foi dépouillée et confiante qui défie des prétentions de la raison et qui exige qu'elle reste soumise à la foi. L'abbé de Clairvaux est un ascète, il traite son corps avec rigueur. Il exige de ses moines une pauvreté totale et la pratique quotidienne d'un travail manuel. Bernard de Clairvaux ne limite pas son action à son établissement ; il exerce son autorité dans les grandes affaires de son temps. Orateur de grand talent, il combat le schisme qui affaiblit la papauté. Il se déclare partisan convaincu de la primauté de l'autorité pontificale. Il agit en arbitre sur l'Europe ne craignant pas de parler sévèrement aux rois. Bernard sera l'arbitre des conciles, le gardien de la doctrine, le conducteur des foules populaires qu'il galvanise. 
En 1127, les Templiers voulant obtenir l'approbation du pape pour leur Ordre sollicitent l'appui du grand abbé de Clairvaux qu'on juge digne entre tous de composer une règle pour les chevaliers du Temple. En 1128, lors du concile de Troyes auquel Bernard était convoqué comme secrétaire, il est procédé à l'institution de l'Ordre. Barthélemy attentif à ce qui se déroule sur son diocèse contribue à l'installation de la Commanderie des moines guerriers. Son oncle, André de Ramerupt a un fils, Gautier de Brienne qui vient d'épouser la nièce du grand maître du Temple, André de Montbard, oncle maternel de Bernard de Clairvaux...
Il est dit que les Templiers doivent leur implantation à Laon et dans les environs à l'évêque Barthélemy de Joux présent au concile de Troyes et qu'il aurait assisté à l'élaboration de la règle des Templiers proposée par Bernard de Clairvaux. Vers 1134, il aide à leur installation à la limite sud du cloître cathédral, à la porte du quartier canonial. La maison qu'ils occupent appartient au roi et les Templiers lui doivent le cens. Le 2 janvier 1141, le roi Louis VII confirme la donation définitive de la maison aux Templiers qui n'ont plus aucune charge à payer. Deux chartes de confirmation de Barthélemy détaillent les donations reçues avant 1149 et qui sont destinées à constituer un temporel. Les grands de la ville de Laon et leurs chevaliers protègent et enrichissent les biens des Templiers. La chapelle des Templiers de style roman, toujours debout (rue Georges Ermant) aurait été bâtie vers 1140.
En 1153 lorsque Bernard, la figure de proue du prestigieux essor des cisterciens après une vie partagée entre l'action et la contemplation meurt le 20 août 1153 à Clairvaux après 38 ans d'abbatiat. En 1174, Bernard de Clairvaux est canonisé par le pape Alexandre III.
De sa rencontre avec Barthélemy de Joux sont nées en Thiérache après Foigny les abbayes de Montreuil-Les- Dames (Montreuil-en- Thiérache) en 1136 ; une communauté de femmes et l'abbaye de Bohéries.

BARTHELEMY, délit d'insouciance

Au dignitaire Barthélemy de Joux il est reproché ainsi qu'à deux autres évêques, Pierre de Senlis et Simon de Noyon, d'avoir consenti à bénir l'union de Pétrouille d'Aquitaine et du comte Raoul 1er de Vermandois qui avait répudié, en toute illégalité, son épouse Eléonore de Blois. En 1148, un concile tenu à Reims confirmait l'invalidité de ce mariage et excommuniait les époux ainsi que les trois prélats qui, probablement, avaient été abusés par le comte de Vermandois. Barthélemy - démissionnaire - contraint et forcé par les chanoines se retire à l'abbaye cistercienne de Foigny où il revêt la tenue de moine en 1151. Gautier de Mortagne, son successeur, évêque bâtisseur et financier, l'accuse d'avoir dilapidé la mense épiscopale au profit de fondations monastiques tant cisterciennes que prémontrées. Nous y voilà ! Barthélemy avait doté dix maisons de son vivant, une bénédictine : Saint-Michel ; quatre cisterciennes : Montreuil, Vauclair, Foigny et Bohéries et cinq prémontrés : Prémontré, Cuissy, Thenailles, Bucilly et Clairefontaine. Jugé coupable ?
En la cathédrale Notre-Dame de Laon, face au seigneur Samson, archevêque de Reims, assisté des évêques de sa province, de seize abbés du diocèse et en présence du roi Louis VII, Barthélemy de Joux plaide "non coupable" et explique qu'il n'a donné ni cens, ni vinage aux chanoines mais des porcs mâles. L'affaire se termine par un compromis. Evêque déchu, moine solitaire, Barthélemy de Joux meurt vers 1160. Sa dépouille reposera dans une sépulture à l'abbaye de Foigny. En la cathédrale de Laon dans l'une des chapelles, un tombeau, une réplique de Foigny.

 


 

                                                                                                                  Jacky billard

Sources/Contributeur r (s) : Vie de Guibert de Nogent Liv. III - J.L.J Brières - 1825 ; Montloon - Suzanne Martinet - Ed. 1970 ; La chapelle des Templiers - C. & J. Jorand - Ed. 2001 ; Amédée Piette - 1850  ; SAHS - Soissons ; Genancestral. com ; Simone Simon - Mémoire de Saint-Michel- en-Thiérache